Sur le portail du Temple d'Apollon, à Delphes, dans la Grèce antique était écrite la devise
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    Vous souhaitez lire le premier chapitre du roman « le Moine et le lépreux » ?

    Ci-dessous vous allez trouver le premier chapitre du Roman  » Le Moine et le lépreux «  de Claude PENEZ. Vous pouvez le lire sur votre écran d’ordinateur ou le télécharger (au format PDF) si vous souhaitez le lire tranquillement après impression.

    Pour télécharger au format PDF le premier chapitre du roman "Le Moine et le lépreux"Si cet aperçu du roman vous interpelle, vous pouvez cliquer en bas de page afin de lire les trois premiers chapitres (ou les télécharger) pour approfondir l’oeuvre.

    Chapitre 1 – Une promenade d’agrément. Mars 1138.

            -Allez zou, Michelo ! Fainéant ! Il est déjà bien tard et le soleil va se lever. Nous avons une longue route à faire aujourd’hui. Vé ! Regarde Patricio, il a déjà allumé le feu et il te prépare de quoi manger. Vas-tu le laisser aussi avaler ta cervoise ?

            Allongé sous sa couverture, Michelo profitait de ces moments si agréables qui suivent le réveil et qui précèdent le lever. Depuis de longues minutes, bien au chaud et les yeux clos, savourant ce délicieux moment, il entendait ses deux sauveurs s’affairer près de lui, ranger les couvertures et se préparer au départ.
            À quelques pas de lui, quelques buches de bois sec crépitaient déjà, répandant alentour son agréable odeur de feu de bois.
            – Zou ! Un peu de courage, incita à nouveau Guilhem.
            Michelo se leva doucement et étira ses membres endoloris. Ce matin, il se sentait mieux. La bonne nourriture, savamment équilibrée des chevaliers, lui avait doucement redonné des forces. Les bonnes et longues nuits passées bien au chaud au coin du feu, dans d’épaisses couvertures, avaient achevé de le remettre en forme et de lui rendre figure humaine. Pourtant, la lassitude qu’il ressentait au plus profond de lui, avait beaucoup de mal à disparaître. Déjà, après l’agression de l’année passée, il lui avait semblé que cette fatigue générale n’était due qu’à un simple refroidissement, et il n’avait retrouvé toute sa tonicité qu’après de longs soins attentifs.
            Désormais, sa jambe le gênait beaucoup moins. Les attelles, posées par le frère Guilhem, l’importunaient encore dans son sommeil, mais la douleur qui l’avait tant meurtri ne le tourmentait presque plus. Comme chaque matin depuis une semaine, il considérait sa cuisse d’un air un peu moins dubitatif. Celle-ci dégonflait de jour en jour.
            – À cette vitesse, dans trois jours il n’y paraîtra plus et dans moins de trois semaines, tu marcheras de nouveau. Au début, ce sera avec une béquille bien sûr, mais assez vite tu pourras t’en passer.
            La grosse voix de frère Patricio se voulait rassurante. Michelo savait bien que l’énorme tache bleue qui était apparue sur sa cuisse allait devenir verte, puis jaune pour enfin disparaître dans quelque temps. Ses maladresses, lorsqu’il était encore un jeune garçon, l’avaient suffisamment fait tomber à terre pour qu’il sache reconnaître un gros bleu. En revanche, ce qui l’inquiétait beaucoup plus, c’étaient les proportions que prenaient les taches blanches qui recouvraient le bas de ses jambes. Elles avaient pris une ampleur démesurée depuis qu’il avait quitté la chaumière picarde de sa petite enfance.
            Comme s’il lisait ses pensées, Guilhem le rassura.
            – Ne te tracasse pas pour cela, tu es presque arrivé à l’issue de ta longue route. Ce soir, tu dormiras chez les frères de saint Ladre. Ils savent ce qu’il faut faire pour soigner ton mal et par la grâce de l’Éternel, ils te rendront bientôt la santé.
            En écoutant le frère, Michelo sentit tout son corps vibrer de bonheur. Il était parti depuis si longtemps. Les indications du père abbé de sa paroisse étaient bien insuffisantes pour lui permettre de trouver sa route. Elles le menaient par monts et par vaux depuis tant de mois, qu’il ne croyait plus en l’existence de la maladrerie royale.
            Un gargouillis aussi sonore qu’inattendu le tira instantanément hors de ses pensées. Le rire des deux chevaliers sembla repris en chœur par les piétinements d’impatience de saint Jean d’Acre et Jérusalem, les deux magnifiques montures de ses sauveurs.
            – Tiens, avale cela. Une bonne cervoise bien chaude, il n’y a rien de tel pour caler un estomac affamé.
            Comme chaque matin depuis une semaine, les chevaliers se levaient avec le soleil, nourrissaient et étrillaient les chevaux, chargeaient la vieille mule. Puis, le feu rallumé, ils réchauffaient les restes du repas de la veille au soir. Lorsque tout était prêt, ils réveillaient leur compagnon d’infortune.
            De toute sa vie, Michelo n’avait jamais rien bu dès le réveil d’aussi nourrissant. Il avait tellement faim qu’il se pressait d’avaler le contenu de son hanap, cette magnifique coupe de bois, prêtée par Guilhem. Certains morceaux étaient si gros qu’il était bien obligé de prendre le temps de mastiquer s’il ne voulait pas mourir étouffé.
            Repu mais intrigué, il interrogea alors :
            – Nobles chevaliers, vous avez bien dit que je dormirai ce soir à la maladrerie de Saint Ladre ? Est-ce bien vrai ? Ne vous moquez-vous pas de moi ?
            – Non, nous ne plaisantons pas. Nous voulions te faire la surprise, mais nous ne voulons plus te le cacher. Nous avons évité de passer par Saint-Denis afin de ne pas apeurer les pèlerins par ta maladie et dès ce midi, nous prendrons notre repas près de l’abbaye de Montmartre. L’endroit est d’un calme reposant, propice à la méditation, et, de là, nous pourrons voir Paris, de loin.
            Michelo n’en croyait pas ses oreilles. Longuement, le regard oblique, il observa les deux chevaliers, enchantés de l’effet de surprise qu’ils lui avaient réservé.
            Rien dans les couleurs de leur aura ne semblait l’avertir d’une quelconque supercherie. Non, ses deux compagnons de route lui disaient bien la vérité.
            Pouffant de rire à le voir faire, tous deux s’écartèrent du campement, et comme chaque matin, se tournant vers le soleil levant, ils mirent un genou à terre et prièrent.
            Une petite brume apparut entre les vieux chênes sur laquelle scintillaient déjà les premiers rayons du soleil.
            – La journée sera belle, pensa-t-il en se redressant, se frictionnant les jointures endolories.
            Péniblement, Michelo replia sa couverture, nettoya la coupe d’un geste de la manche et se leva avec difficulté en prenant appui sur un arbre. Soucieux de montrer que lui aussi avait de la religion, il esquissa un signe de croix. Puis les yeux clos, il récita à voix basse un Notre-Père en latin. Les derniers mots prononcés, il pensa à sa famille, aux événements de ces derniers mois, à ses sauveurs, il ne put s’empêcher d’adresser au Dieu de son cœur une courte prière :

            – Mon Dieu, je Vous remercie de m’offrir cette nouvelle journée. Mes meilleures pensées vont vers ma famille que je Vous confie, vers Manon ma promise, vers mes agresseurs à qui je Vous demande de pardonner leurs actions, et vers Vos deux soldats qui me mènent sur ce long chemin.
            – Amen, reprirent en chœur les deux chevaliers.
            Il ne les avait pas entendus s’approcher tant sa prière l’avait concentré.
            – Amen. bredouilla-t-il.
            – Qui donc t’a appris à prier de la sorte ? D’ordinaire les bons chrétiens prient pour eux-mêmes, pour leur récolte ou leur santé. Mais très rarement pour les autres.
            – Je ne sais pas, je pense que c’est normal. Si Dieu devait venir s’occuper de chacun de nous pour donner tout ce que nous désirons, Il n’en finirait plus.
            – En plus, prier pour soi, alors que l’on a le nécessaire, je pense que c’est de l’égoïsme. poursuivit-il. Mon guide m’a demandé ce que j’avais fait pour les autres lorsque j’étais sur terre et comme je ne savais pas quoi lui répondre, il m’a conseillé d’y penser beaucoup quand je reviendrais ici-bas.
            – Alors, si dans mon mauvais état physique je ne peux rien faire de concret pour les autres, je veux au moins que mes meilleures pensées aillent vers tous ceux que je connais et que j’aime. C’est la seule aide que je peux leur apporter pour le moment, et je suis sûr qu’elle sera efficace.

            Les deux chevaliers se regardèrent en silence, se demandant où il pouvait aller chercher tout cela. Ils lui confirmèrent qu’il était bien dans la vraie voie et le remercièrent d’avoir pensé à eux.
            Depuis sa mésaventure avec les pilleurs de grands chemins, il regardait les choses autrement. Il avait même de la compassion pour Jérusalem, le magnifique cheval de Guilhem, qui avait pour charge de le transporter toute la Sainte journée.
            Ce magnifique demi-sang arabe qui, selon son maître, était un digne compagnon d’armes, avait pris Michelo d’amitié. Il agissait exactement comme s’il savait que le moindre choc pouvait lui être douloureux. Il évitait les trous des chemins, et semblait très prévenant pour son jeune cavalier.
            – Allez en route ! Si nous voulons être arrivés pour les vêpres.
            Lorsqu’il enfourcha la monture, Michelo dut serrer les dents et contenir un cri de douleur. La forme de la large selle ne lui permettait pas de s’installer confortablement avec sa jambe droite cassée pendant à la verticale.
            Guilhem fit rapidement le tour du cheval, puis doucement releva la jambe de Michelo et fixa l’attelle côté cheville à l’avant du harnachement. Ainsi, le pied gauche dans un étrier, et la jambe droite à l’horizontale, il pouvait aisément voyager sans ressentir la moindre souffrance.
            – Qu’à cela ne tienne, dans quelques semaines, je pourrai de nouveau plier le genou et marcher. Tout cela ne sera plus qu’un mauvais souvenir.
            Après avoir achevé le chargement de la mule, les deux chevaliers fixèrent leur épée au côté, et se couvrirent de leurs longs manteaux blancs. Le burious ( ) blanc qu’ils portaient au-dessous rendait plus officielle leur fonction religieuse. La cotte de maille, casquant la tête, entérinait leur fonction militaire.
            Patricio enfourcha saint Jean d’Acre tandis que Guilhem, tenant Jérusalem par la bride, emmena Michelo, bientôt suivi de la mule.
            Michelo se sentait fier avec ses deux compagnons.
            – Plus tard, je serai chevalier de l’Ordre du Temple ! leur lança-t-il.
    Le rire amusé des deux condisciples lui rappela qu’il avait déjà atteint l’âge de quinze ans, et que sa condition ne lui permettait pas d’espérer entrer dans un Ordre aussi prestigieux que celui du Temple.

            – Tu changes souvent d’avis, mon pitchoun. Lorsque nous t’avons trouvé la semaine passée, et que nous avons soulagé tes plaies, tu voulais déjà être médecin.
            – C’est vrai, frère Guilhem, mais ne peut-on être chevalier de l’Ordre et médecin à la fois ?
            – Té, il y en a, mais les études sont longues et coûteuses, tu sais.
    Michelo réfléchissait. Sa modeste naissance ne lui permettait pas d’envisager un avenir très brillant. Depuis qu’il avait quitté la maison, il avait découvert tant de choses nouvelles qu’il en avait encore le tournis.

            Déjà, petit, il voulait suivre l’exemple de son père et cultiver la terre. Puis il avait ambitionné devenir prêtre, afin de dialoguer avec le Bon Dieu. Quand il vit Manon, il avait pensé devenir père de famille.
            Plus tard sur la route, il souhaita devenir un riche marchand saxon, comme celui qu’il y rencontra.

            Michelo avait toujours eu envie de dévorer la vie à pleines dents, mais sa condition physique lui rappela qu’il devait d’abord aller se faire soigner.
            – La lèpre est une maladie ignoble. Elle détruit les ambitions des jeunes gens, murmura-t-il.
            – Et pas seulement des jeunes gens, reprit Guilhem. Pense à tous tes anciens compagnons d’infortune. L’un d’eux était de noble naissance. As-tu vu ce que la vie lui a réservé ? Mais toi, tu as de la chance. Dieu est clément. Il a bien voulu que tu ne sois pas contagieux. Et ne t’a-t-il pas doté de fabuleuses facultés que bien des chercheurs au sein de l’Ordre aimeraient posséder ?

            Michelo ne dit plus un mot. Il resta songeur.
            Jérusalem s’arrêta brusquement. Devant eux, à une centaine de pas, Patricio qui ouvrait la marche venait de s’arrêter et déjà sortait l’épée du fourreau. Il prit le temps d’observer l’intérieur du sous-bois dans lequel s’engouffrait la route. Il avait vu bouger quelque chose.
            On n’entendait aucun bruit aux alentours. Les oiseaux ne chantaient plus. Le vent qui caressait les feuillages, semblait s’être immobilisé comme pour inciter le temps à marquer une pause. Ils attendaient et écoutaient, leurs sens en éveil. Quelque chose allait se passer.
            Guilhem tourna autour du cheval, tentant d’observer les buissons au bord du chemin, guettant les alentours. Dans un léger frôlement métallique, il tira lentement l’épée du fourreau, et se tint prêt à l’affrontement.
            Patricio fit un signe et s’enfonça doucement dans le sous-bois, baissant la tête pour éviter les branches basses.

            – Observe les fourrés derrière nous, chuchota Guilhem, et préviens-moi si tu vois bouger.
            Michelo sentit son cœur battre très fort. Sa gorge se noua. Il observa attentivement les alentours, mais ne vit rien bouger.
            – Et si c’étaient les voleurs de grands chemins qui nous tendaient une embuscade ? Ceux de la semaine passée étaient particulièrement cruels pensa Michelo. Et tous mes amis sont morts, dépouillés de leurs maigres biens, abandonnés aux loups. Peut-être nous ont-ils suivis.

            La seule idée d’avoir à affronter les crocs de ces bêtes féroces lui fit frissonner le bas du dos.
            Mais il n’eut pas le temps de laisser ses idées vagabonder. Du fond du sous-bois, il entendit le hennissement de saint Jean d’Acre rapidement suivi d’un énorme cri. Couvrant difficilement les bruits secs des branches cassées et des grognements hargneux, on devinait les coups de sabots d’un cheval qui martelait le sol.
            Le bruit se rapprocha, Jérusalem était inquiet mais restait immobile, veillant précieusement sur son fragile cavalier.
            Le son du bois brisé se faisait plus proche, Guilhem avait déjà ôté son blanc manteau, mis un genou à terre et tenait son épée à deux mains, prêt pour le choc. Le bruit semblait s’accentuer dans le sous-bois. À un point tel que Michelo restait persuadé que Patricio combattait une armée de plus de mille hommes ou de cent mille démons. Par instant les hurlements s’estompaient, renforçant son inquiétude.
            Les grognements qu’il percevait étayaient sa certitude d’une lutte à mort. Dans quel état s’en sortirait-il ?
            Hurlements et cris se rapprochaient. Michelo sentait les poils de ses bras se dresser sous sa tunique.
            – Courage, chevalier, pensa-t-il alors, que Dieu Te vienne en aide.
    Déjà le bruit des combats résonnait moins, signifiant qu’ils s’avançaient. Le son des sabots faisait vibrer le sol si fortement que Jérusalem commença à frémir.
            Guilhem était prêt à pourfendre le premier qui se présenterait. Mais dans un grognement affolé, à moins de dix mètres devant eux, ils virent passer, furieux et pris de panique, un groupe de trois énormes sangliers fuyant ventre à terre, aplatissant tout ce qui se trouvait sur leur passage. Ils traversèrent le chemin et s’engouffrèrent dans l’autre partie du sous-bois, toujours poursuivis par les hurlements de Patricio.
            Quelques mètres derrière eux, il apparut, juché sur saint Jean d’Acre, debout dans les étriers, l’épée tournoyant à la main.
            Dans un nuage de poussière et après moult difficultés, Patricio arrêta son cheval et mit pied-à-terre.
            En les voyant arriver ainsi, Guilhem fut pris d’un fou rire que seule une tension nerveuse poussée à son paroxysme pouvait excuser.
            – Alors collègue, tu n’avais pas fait ta gymnastique matinale, et cela te manquait ? lui lança Guilhem en se relevant et en replaçant l’épée dans son fourreau.
            – Saleté de bestioles, renchérit Patricio, j’ai bien cru que c’étaient ces croquants de bandits. Quel dommage que la chasse nous soit interdite, sinon je leur aurais volontiers taillé des croupières !
            Michelo était resté sans bouger. Après avoir compris qu’il ne s’agissait là de rien de bien sérieux, il reprit sa respiration normale et, pâle comme un suaire, s’adressa à ses deux amis :
            – Réflexion faite, je crois que plus tard, je ne serai pas chevalier de l’Ordre du Temple…
            Il n’en fallut pas moins pour que le fou rire devînt général et qu’il durât de longues minutes avant de s’estomper,… sous l’œil très intrigué des deux chevaux et de la mule qui, pourtant, en avaient vu d’autres.

    *

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